Enfant bien porté, enfant bien portant !

Dans un article paru dans Allaiter Aujourd’hui n° 40 en Juillet 1999, Claude Didierjean-Jouveau nous explique rapidement et clairement les nombreux avantages du portage pour un enfant et ses parents. Plus de dix ans après la parution de cet article, il est intéressant de remettre un coup de projecteur sur les arguments de Claude Didierjean-Jouveau.
Depuis ce temps, de nombreux spécialistes et professionnelles de la petite enfance sont venus appuyer ces propos par leur pratique quotidienne. Il est facile de trouver près de chez soi ateliers de formation, sage femme, associations… qui prodiguent les bons conseils pour bien porter en écharpe ou en porte bébés physiologiques.
Il m’arrive en magasin de dire aux jeunes parents que le portage devrait être obligatoire et remboursé par la Sécurité sociale et sans aller jusque là, il y a encore beaucoup à faire pour faire découvrir tous les avantages de cette relation créée avec un enfant.

Enfant bien porté, enfant bien portant !

« Concernant le portage, on pourrait presque reprendre mot pour mot ce qu’on dit de l’allaitement.
Comme l’allaitement, le portage a assuré depuis les débuts de l’humanité à la fois la survie physique des petits d’homme (le contact permanent avec la mère les protégeaient des bêtes féroces) et leur développement psychique (c’est ce contact permanent qui a permis l’apprentissage, la transmission des connaissances et par conséquent, l’émergence de la civilisation).
Comme l’allaitement, le portage a souffert de désaffection à l’époque moderne. On a voulu à toute force transformer les humains de « primates porteurs » (et portés) en « nidicoles » (qui, comme les oiseaux, se développent dans un nid) : les bébés devaient dormir bien « au calme » dans leurs chambres isolées, dans leurs petits lits immobiles.
Comme l’allaitement, le portage a connu un regain de faveur à l’occasion du  » retour à la nature  » des années 70. Alors qu’il était considéré auparavant comme une pratique de « sous-développés », on a revu dans nos rues des « bébés kangourous » sur le ventre de leur mère ou de leur père.
Mais, tout comme l’allaitement prolongé, le « portage prolongé » est rare chez nous : quand il dépasse quelques semaines et quelques kilos, le bébé se retrouve généralement en poussette au niveau des pots d’échappement…
Comme l’allaitement, le portage est hors commerce. Mis à part l’achat du porte-bébé, porter ne coûte rien, alors que toute la puériculture moderne vise à persuader les nouveaux parents qu’ils ont besoin d’acheter tout un matériel coûteux et encombrant.
Comme l’allaitement, le portage est un art d’imitation. Rien ne vaut de voir une mère porter son bébé pour avoir envie d’en faire autant et pour « attraper le coup », savoir enrouler le tissu, installer l’enfant… Et les enfants qui ont été portés et/ou qui voient leur mère porter un bébé, ont envie eux aussi de porter leurs poupées ou nounours dans un porte-bébé plus ou moins
improvisé (un torchon peut faire l’affaire !).
Comme l’allaitement, le portage est agréable pour l’enfant et pour la mère (ou le père). Cela seul devrait suffire à le justifier, mais comme on a toujours besoin d’arguments scientifiques, et bien que les études soient peu nombreuses sur le sujet, nous allons en donner une petite liste.

Les bienfaits du portage

Le plus évident, qui crève les yeux (ou plutôt qui ne crève pas les oreilles !), c’est que les enfants portés crient moins que les autres. Non pas tant que leurs pleurs soient calmés par le portage (quoique cela arrive) que parce qu’ils n’ont pas besoin de pleurer : le contact étroit avec l’adulte fait que ce dernier est tout de suite averti des besoins du bébé et peut les
satisfaire sans attendre.
Une étude parue dans Pediatrics en 1996 a confirmé cette évidence : chez la centaine d’enfants observés, le portage réduisait les pleurs et l’agitation de 43 % le jour et 51 % la nuit.
Le portage facilite l’attachement parents/enfant. Une expérience relatée dans le Lancet en 1987 va dans ce sens. On a distribué de façon aléatoire à deux groupes de mères de milieux défavorisés, des porte-bébés en tissu ou des sièges en plastique, en leur demandant de s’en servir régulièrement. A 13 mois, on a testé la qualité de l’attachement mère/enfant : 83 % des
enfants « porte-bébés » montraient un attachement sécurisé, contre 38 % des enfants « sièges en plastique »…
Le portage renforce le sentiment de compétence et de confiance en soi des parents, qui savent qu’ils ont un moyen sûr de satisfaire les besoins de leur bébé (c’est particulièrement important dans le cas de bébés à coliques, de bébés aux besoins intenses). Un moyen qui par-dessus le marché leur permet de continuer à vaquer à leurs occupations et à s’occuper d’autres enfants.
Les bébés portés reçoivent beaucoup plus de stimuli que ceux qu’on laisse tous seuls des heures dans leur chambre. Ils participent à toutes les activités de la maisonnée, « à hauteur d’homme », tout en étant sécurisés par le contact. Ce qui permet un éveil harmonieux en rapport avec la réalité, une véritable implication au sein du monde et un développement riche
et subtil de tous les sens.

Le bercement du portage stimule le système nerveux immature du bébé en particulier le système vestibulaire (sens de l’équilibre).
Les bébés qui sont beaucoup portés développent un bon tonus du cou et du tronc, et une capacité d’adaptation aux changements de position. Ils ont en moyenne un développement psychomoteur plus rapide et plus harmonieux, et souvent, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ils marchent plus tôt (c’est frappant chez les petits Africains).
Le portage traditionnel jambes bien écartées (par exemple à califourchon sur les hanches) est préventif des problèmes de hanche. On sait que les peuples où les enfants sont portés ainsi ne connaissent presque jamais de luxations de la hanche.

Les avantages du portage sont particulièrement nets pour les bébés prématurés (c’est d’ailleurs là qu’on trouve le plus d’études). Pour ces enfants nés à un âge où ils devraient être encore enveloppés par la matrice, le portage, que certains ont appelé  » a womb with a view  » (« matrice avec vue « ), va prolonger la gestation trop tôt interrompue. C’est l’expérience des « bébés kangourous » colombiens, reprise dans certains centres de néo-natologie européens : le bébé, seulement vêtu d’une couche, est placé à la verticale peau à peau sur la poitrine de sa mère ou de son père, et ce en continu.

Toutes les études ont confirmé que chez les bébés ainsi traités,
– le sommeil est plus profond,
– les pleurs plus rares,
– l’énergie mieux conservée,
– l’allaitement et l’attachement parents/enfant facilités,
– la prise de poids plus rapide,
– les infections plus rares.

Il y a portage et portage

Mais tous les porte-bébés ne se valent pas.
Il faut notamment mettre en garde contre les porte-bébés style kangourou, où le bébé est comme  » suspendu » jambes pendantes, sans être bien maintenu contre le corps du porteur. Ils cumulent les inconvénients :
– pour l’enfant : alors que les premiers temps, il est préférable qu’il soit en flexion, comme dans la position foetale, dans ces modèles il est dans une position dangereuse pour sa colonne vertébrale qui compromet un bon développement des courbures vertébrales (sans parler des risques de chute) ;
– et pour le porteur : le poids de l’enfant portant uniquement sur les épaules, ça tire sur le cou, les épaules et les reins ; alors qu’avec un porte-bébé où le bébé est bien maintenu contre le corps de l’adulte, son poids est mieux réparti, ce qui évite le mal de dos.
Tous les autres porte-bébés ont leurs avantages et leurs inconvénients. Un modèle conviendra à l’une et pas à l’autre, conviendra dans une situation et pas dans une autre. »

Pour compléter cette dernière phrase de Claude Didierjean-Jouveau, on ne peut qu’inviter les parents à venir essayer un porte-bébé en atelier pour découvrir les différentes façons de porter. Toucher les tissus, essayer, comprendre, cela fait parti du bonheur de notre travail.